25

Le mardi matin, Floyd était dans une cabine téléphonique juste devant la gare du Nord, et il avait toujours mal à la tête. Ils étaient blessés, Auger et lui, mais ils n’avaient aucune envie d’avoir affaire à des étrangers coopératifs ou curieux. Le retour en train de Berlin avait été long et fatigant. Ils avaient connu des moments d’angoisse lors de la vérification de leurs papiers, et s’étaient bien gardés de prononcer le moindre mot.

Floyd n’était pas inquiet pour lui-même, sa blessure était bénigne, mais il s’en faisait beaucoup pour Auger. Il l’avait laissée dans la salle des pas perdus, pansée et vaseuse, mais refusant toujours catégoriquement d’aller à l’hôpital.

Un homme répondit au téléphone.

— Inspecteur Maillol ? Wendell Floyd à l’appareil. On peut parler ?

— Allez-y, répondit Maillol. En réalité, je voulais justement vous dire deux mots. Où étiez-vous passé, Floyd ? Personne n’a pu me dire où vous étiez.

— En Allemagne, inspecteur. Je suis rentré à Paris, mais je n’ai pas beaucoup d’argent sur moi, et j’appelle d’une cabine publique.

— Pourquoi ne pas appeler de votre bureau ?

— Je me suis dit que ce ne serait peut-être pas prudent.

— Bien vu, approuva Maillol. Bon, je vais faire court. Floyd, vous savez que j’enquête sur un réseau de faussaires. Eh bien, nous avons fait des trouvailles intéressantes dans des entrepôts, à Montrouge : une presse clandestine et un cadavre flottant à plat ventre dans une cave inondée. On l’a identifié, c’est un dénommé Rivaud. Le légiste dit qu’il ne devait pas être dans l’eau depuis plus de trois ou quatre jours…

— Il est tôt, inspecteur, et je n’ai pas beaucoup dormi, mais je ne crois pas connaître ce nom et je ne vois pas bien ce…

— C’est bizarre, Floyd, parce qu’il semblerait que vous l’ayez rencontré. Il avait votre carte de visite sur lui.

— Ça ne prouve pas que je le connaissais.

— Il a aussi une clé qui se trouvait être celle de l’immeuble de M. Blanchard, rue des Peupliers. Rivaud était l’un des occupants.

— Attendez, dit Floyd. Ce ne serait pas l’un des locataires du premier ?

— Alors, vous vous souvenez de lui.

— Je ne l’ai jamais rencontré. Mais Custine, si. C’est comme ça qu’il aura eu notre carte de visite. Quand je suis retourné le voir, ou plutôt quand j’ai essayé, il n’était pas chez lui.

— Peut-être parce qu’il était mort…

Floyd ferma les yeux. C’était tout ce qui leur manquait : un autre cadavre, même s’il n’avait qu’un rapport lointain avec l’affaire.

— Cause de la mort ?

— Noyade. Ça pourrait être une noyade accidentelle : il aurait pu trébucher et tomber dans le sous-sol inondé. D’un autre côté, le légiste a trouvé des traces étranges sur le cou du bonhomme. Peut-être des marques de doigts, comme si on lui avait maintenu la tête sous l’eau.

— Dans ce cas, l’enquête n’aura pas traîné : homicide par noyade.

— Sauf que les marques de doigts étaient très petites, reprit Maillol.

— Laissez-moi deviner : de la taille d’une main d’enfant.

— Un enfant aux ongles très longs, oui. Ce qui n’a pas de sens.

— Sauf que je vous ai dit qu’il y avait des enfants particulièrement pervers dans cette affaire.

— Et nous avons ce coup de poignard à la gare du Nord, évidemment. Nous n’avons pas encore retrouvé le gamin que les témoins ont vu.

— Je doute que vous le retrouviez…

— Vous avez des informations sur cet incident ?

Floyd pécha un cure-dents neuf dans la poche de sa chemise et se le fourra dans le bec.

— Bien sûr que non, inspecteur. Je voulais juste dire que… le gamin est probablement déjà loin, maintenant.

Maillol ne dit mot pendant une bonne dizaine de secondes. Floyd l’entendait respirer par-dessus le fond sonore de machines à écrire et d’ordres aboyés.

— Vous avez sûrement raison, dit-il enfin. Maintenant, mettez-vous un peu à ma place. Je ne m’intéresse pas à l’affaire de la rue des Peupliers, en dehors du fait que j’aimerais bien pouvoir aider Custine. Mais il n’y avait pas de relation entre ces deux cadavres et les événements de Montrouge.

— Et maintenant ?

— Maintenant, j’ai un lien. Et il n’a pas de sens. Que faisait votre bonhomme, Rivaud, du côté de Montrouge ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, dit Floyd.

— C’est un cul-de-sac, dit Maillol. Et je n’aime pas les culs-de-sac.

— Moi non plus, inspecteur, mais je vous assure que je n’ai aucune idée de ce que Rivaud pouvait faire là-bas. Comme je vous l’ai dit, je ne l’ai jamais rencontré.

— Alors, peut-être que si je pouvais parler avec Custine…

— En réalité, dit Floyd, c’est pour lui que je vous appelle.

— Il a repris contact ?

— Évidemment que nous sommes en contact. Qu’est-ce que vous croyez ? C’est mon ami, et je sais qu’il est innocent.

— Très bien, Floyd. J’aurais été déçu que vous me répondiez autrement.

— Mais je ne peux pas vous dire où le joindre. Vous comprenez, hein ?

— Bien sûr.

— Enfin, je crois que je suis sur le point de trouver un des suspects. Sauf que quand je vous le livrerai, ça risque de ne pas vous plaire…

— Comment ça, « un des suspects » ? Ils sont plusieurs ?

Floyd remit des pièces dans le taxiphone.

— Ce n’est pas Custine qui a tué Blanchard, mais un de ces enfants. Vous avez parlé aux témoins, gare du Nord. Vous savez comment ils l’ont décrit.

— Oui, notamment un témoin qui parlait français avec un accent américain prononcé…

— L’enfant était bien réel, inspecteur. Ils sont plusieurs, des garçons et des filles, mais de près je vous assure qu’on ne dirait vraiment pas des enfants. Si je peux vous livrer un de ces monstres, j’aurai tenu ma part du deal, d’accord ?

— Nous n’avons pas de deal, Floyd.

— Ne me laissez pas tomber, inspecteur. J’essaie de conserver un semblant de sentiment de respect pour l’autorité dans cette ville en déliquescence.

— Je ne pourrai pas éternellement tenir Belliard à distance, reprit Maillol. Il suit déjà toutes les pistes qui ont une chance de mouiller Custine. Ce bar que vous fréquentez ? Le Perroquet Pourpre…

— Oui, demanda Floyd, la gorge nouée.

— Il y a de jolies ruines fumantes, à l’endroit où il se trouvait.

— Michel, le gérant… Il va bien ?

— Il n’y a pas eu de victimes, mais les témoins ont vu deux hommes en pardessus gris avec des jerricans d’essence s’enfuir dans une Citroën noire. La dernière fois qu’on les a vus, ils filaient droit vers le quai des Orfèvres…

Maillol s’interrompit le temps de laisser Floyd emmagasiner l’information, et ajouta :

— Si Custine se cachait là, sachez qu’il ne va pas tarder à sentir le souffle brûlant de Belliard sur sa nuque.

— Custine est un homme de ressource.

— Peut-être, Floyd. La question est : et vous ? Belliard ne s’arrêtera pas après avoir péché un poisson.

— J’ai besoin d’encore un peu de temps.

— Si… je répète : si vous me livrez un de ces faux enfants, vivant et dans un état permettant de l’interroger… alors il se pourrait, finalement, que je puisse intervenir. Encore que je me demande comment j’expliquerai l’affaire au magistrat instructeur. Paris terrorisé par un gang d’enfants sauvages ? Il va me rire au nez et m’éjecter du palais de justice à coups de pied dans le prose…

— Montrez-lui l’enfant, inspecteur, et je doute qu’il rigole longtemps.

— Ça ne dépend que de vous.

— Je suis content de voir que nous avons pu trouver un terrain d’entente, dit Floyd.

— Le terrain d’entente se réduit de minute en minute, mon ami. En échange, je compte sur vous pour m’aider à trouver ce qui lie Rivaud à mon affaire.

— Compris, dit Floyd.

Il raccrocha et fouilla dans sa poche à la recherche d’une autre pièce.

 

La voiture ralentit, se rabattit sur la droite, ses roues raclèrent la bordure du trottoir dans un chuintement caoutchouteux. La portière arrière droite s’ouvrit à la volée et une main appartenant à un grand gaillard perdu dans l’ombre du siège passager avant esquissa un geste d’invite en direction de la banquette arrière. Auger monta la première, suivie de Floyd. Lequel claqua la portière pendant que le conducteur accélérait et reprenait la rue La Fayette, un concert de klaxons furieux saluant son irruption dans la procession de véhicules.

Custine se retourna sur le siège avant pendant que le chauffeur – qui se trouvait être Michel – empruntait le boulevard de Magenta.

— Content de te revoir, Floyd, dit Custine avec chaleur. On commençait à s’en faire.

— Heureux de voir à quel point je vous ai manqué.

Custine effleura le bord de son chapeau en regardant Auger.

— Et vous aussi, mademoiselle. Vous allez bien ?

— On lui a tiré dessus, dit Floyd. Alors, non, elle ne va pas bien. L’ennui, c’est qu’elle refuse que je l’emmène à l’hôpital.

— Moi pas avoir besoin d’aller hôpital, dit Auger. Moi seulement besoin gare du train.

Custine regarda Floyd.

— Je me trompe, ou elle parlait un français irréprochable la dernière fois que je l’ai vue ?

— Elle a pris un coup sur la tête.

— Un sacré coup, alors.

— Ce n’est rien. Tu devrais entendre ce qui est arrivé à son allemand.

— Et toi, Floyd ? demanda Custine, remarquant pour la première fois le pansement qu’il avait à la tête.

Son chapeau était resté dans le sous-sol de Kaspar Metals, quand Auger l’avait traîné au-dehors pour le mettre en sécurité.

— T’en fais pas pour moi. Parle-moi plutôt de toi. Et Greta ? Comment va-t-elle ? Et Marguerite… ?

— J’ai parlé avec Greta, hier. Elle était passablement troublée par ton soudain départ, et ça se comprend.

— Je n’ai pas le temps de débattre de ça. Tu étais là-bas. Tu sais à quoi ça ressemble.

— Bah, je suis sûr qu’elle te pardonnera… avec le temps. Quant à Marguerite… Eh bien, elle se cramponne toujours.

Une voiture de police arrivait en face dans un grand bruit de moteur et Custine inclina son chapeau sur le côté pour dissimuler son visage. Il attendit que la voiture ait tourné au coin d’une rue avant de se détendre.

— Enfin, je ne pense pas qu’il se trouve quelqu’un pour espérer encore qu’elle passe la semaine.

— Pauvre Greta, dit Floyd. Elle doit vivre un enfer.

— Et cette histoire ne fait rien pour lui remonter le moral…

Custine regarda Auger, un peu mal à l’aise, se demandant peut-être où ils en étaient depuis leur voyage à Berlin.

— Elle attend toujours ta réponse, dit-il avec tact. Ce petit dilemme ne s’est pas résolu tout seul en ton absence.

— Je sais, dit lourdement Floyd.

— Il faudra que tu prennes une décision, tôt ou tard. Tu lui dois bien ça.

— Je n’arriverai pas à y voir clair tant que nous ne serons pas sortis de ce merdier, dit Floyd. Et ça veut dire qu’il faut d’abord qu’on te lave de tout soupçon. Je ne vois pas comment je pourrais te transmettre l’affaire si tu devais diriger les enquêtes depuis un cul-de-basse-fosse, hein ?

— Oublie ça, Floyd, fit Custine en secouant la tête. Ils finiront bien par trouver un moyen de me faire tomber. Je pourrais avoir quitté Paris d’ici le milieu de la semaine. J’ai des amis à Toulouse… Et notamment un gusse qui pourra me forger une identité nouvelle.

— Je viens de parler à Maillol. Il croit encore pouvoir te blanchir si je lui propose un autre suspect.

— Dit comme ça, ça paraît presque facile.

— Ça ne le sera pas. Mais avant de pouvoir t’aider je dois aider Mlle Auger.

— Eh bien, emmène-la à l’hôpital, que ça lui plaise ou non.

— Elle l’a très clairement dit, Custine : il y a quelque chose dans cette station qui peut l’aider. C’est pour ça que nous allons à Cardinal-Lemoine.

— Quand a-t-elle reçu cette balle ?

— Hier. Il y a près de vingt-quatre heures.

— Alors il est plus que probable qu’elle délire. Dans ce cas, Floyd, il ne faut pas écouter ce que raconte le patient.

— Je lui fais confiance. Elle répète ça depuis qu’on lui a tiré dessus. Elle sait ce qui est le mieux pour elle.

— Qui est-elle ?

— Je ne sais pas, répondit Floyd. Mais après tout ce que j’ai vu cette histoire de Dakota commence à m’inspirer de sérieux doutes.

 

Custine et Michel les laissèrent à l’entrée de la station de métro, puis repartirent aussitôt dans la circulation. Il était neuf heures du matin, c’était l’heure de pointe, et personne ne faisait très attention à Floyd et à Auger. La blessure de Floyd était bien visible, d’autant qu’il avait perdu son chapeau. Mais un homme à la tête bandée n’attirait que fugitivement l’attention. Une dispute dans un bar, une altercation avec une maîtresse ou un rival… il y avait une infinité d’explications possibles, et un nombre tout aussi infini de raisons de ne pas poser de questions. Quant à Auger, Floyd avait nettoyé ses plaies avant qu’ils quittent Berlin. Il avait improvisé un bandage en déchirant son gilet en lanières, et il avait refait son pansement avant l’arrivée du train à Paris. Sous ses vêtements, le bandage improvisé était assez discret, et seules une raideur du côté droit et la pâleur de son visage auraient pu alerter un observateur attentif. Floyd la prit par son bras valide, et ils suivirent le flux des voyageurs dans les profondeurs carrelées de la station.

Si la balle avait atteint des organes vitaux, elle serait morte, à l’heure qu’il était. Une hémorragie interne tuait bien plus vite que ça. Mais l’infection, c’était une autre paire de manches. Il ne savait pas combien de temps elle pouvait mettre à s’installer, mais il savait que ça pouvait être une façon lente et désagréable de s’en aller.

— J’espère que vous savez ce que vous faites, lui murmura-t-il en anglais, à l’oreille.

— J’ai raison. Croyez-moi, d’accord ?

— Je suppose qu’il y a des gens, en bas, qui pourront vous aider ?

— Oui.

— Et que vous préférez leur faire confiance à eux plutôt qu’à un hôpital ?

— Oui.

— J’ai besoin d’en être sûr, insista Floyd. Je ne peux pas vous laisser vous aventurer dans le tunnel en espérant que tout se passera bien.

— Je suis désolée, mais c’est exactement ce qu’il faut que vous fassiez, pourtant.

Il s’arrêta dans l’escalier, obligeant les autres voyageurs à les contourner.

— Vous me direz où je pourrai vous retrouver, ensuite ? Je veux vous revoir, pour m’assurer que vous allez bien.

— J’irai bien, Floyd.

— J’ai quand même envie de vous revoir.

— Juste pour être sûr que je vais bien ?

— Plus que ça. Vous savez ce que je ressens. Peut-être que je me trompe, mais je crois connaître vos sentiments à vous aussi.

— Ça ne pourrait jamais marcher entre nous, dit-elle.

— On pourrait au moins essayer.

— Non, dit-elle fermement. Ça ne ferait que reculer l’inévitable. Ça ne marchera pas ; ça ne pourra jamais marcher.

— Mais si vous vouliez…

— Floyd, écoutez-moi. Je vous aime beaucoup. Tout ce que je vous ai dit à Berlin, je le pensais. Il se peut même que je vous aime tout court. Mais ça ne change rien au fait que nous ne pourrons jamais être ensemble.

— Pourquoi ? Nous ne sommes pas si différents…

— Mille fois plus que vous ne pourriez l’imaginer. Vous avez probablement compris une ou deux choses à mon sujet, maintenant. Croyez-moi, quoi que vous pensiez savoir, vous êtes encore loin de la vérité.

— Eh bien, dites-la-moi.

— Je ne peux pas. Tout ce que je peux vous dire, c’est que, quels que soient les sentiments que nous éprouvons l’un pour l’autre, nous ne pouvons être ensemble.

— Il y a quelqu’un d’autre, là d’où vous venez ?

— Non, dit-elle un peu trop bas. En réalité, non, il n’y a personne. Il y avait quelqu’un, mais j’aimais trop mon travail, et je l’ai lentement exclu de ma vie. Mais il y a quelqu’un d’autre dans votre vie à vous, Floyd.

— Greta ? Si c’est d’elle que vous voulez parler, c’est fini entre nous.

— Elle est belle et intelligente, Floyd. Si elle vous propose une chance de recommencer, à votre place je la saisirais.

— Sa chance à elle implique que je laisse tout tomber ici. Tout ce et ceux que je connais.

— Ça me paraît encore une proposition intéressante.

— Vous essayez juste de me faire tourner le dos sans regret.

— C’est tellement cruel de ma part ?

— Je ne peux pas lutter contre les sentiments que j’ai pour vous. C’est Greta qui est partie. Je sais bien qu’elle est belle et intelligente, mais elle ne fait plus partie de ma vie, un point c’est tout.

— Eh bien, c’est confirmé, vous êtes un idiot.

Auger se dégagea et continua à descendre l’escalier, vers le quai encombré. Floyd la rejoignit à l’entrée du quai et la reprit par le bras.

— Vous n’avez pas répondu à ma question, dit-il. Est-ce que je vous reverrai quand ils vous auront soignée ?

— Non, dit-elle. Nous ne nous reverrons pas.

— Je fouillerai toutes les stations de métro de Paris. Je finirai bien par vous retrouver.

— Je suis désolée. Je voudrais bien que ça puisse se terminer autrement, mais je ne veux pas vous donner de faux espoirs. Je pense que vous méritez mieux que ça.

Une rame de métro entra dans la station alors qu’ils arrivaient sur le quai.

— Auger, dit Floyd. Vous ne pourrez pas rester éternellement cachée dans ce tunnel. Je vous attendrai toujours.

— Il ne faut pas, Floyd. Ne gâchez pas le reste de votre vie pour moi. Je n’en vaux pas la peine.

— Si, dit-il. Vous vous trompez. Vous le valez largement.

Une main la prit soudain par la manche, la détournant de Floyd. Celui-ci releva les yeux, surpris, en sentant une autre main l’empoigner par le bras. L’homme qui tenait Auger portait un chapeau melon et un long imperméable sur un costume sombre. Un autre flic en civil se planta devant Floyd.

— Inspecteur Belliard…, fit Floyd.

— Heureux de voir que je vous ai fait une telle impression, dit le jeune flic. Vous vous êtes fait rembourser ce presse-papiers endommagé ?

— J’ai décidé que je pouvais vivre sans. Qui vous a donné le tuyau ? Maillol ?

Derrière lui, une voix grave dit :

— En réalité, Floyd, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour vous aider. Malheureusement, je ne savais pas que mon propre département avait mis ma ligne sur écoute. À la minute où vous avez appelé de la gare du Nord, ils vous ont pris en filature.

Belliard foudroya Maillol du regard.

— Je vous avais interdit de nous suivre. Et je vous avais dit de ne pas vous mêler du dossier Blanchard.

— Floyd est un témoin important de ma propre enquête, répondit Maillol d’un ton suave. J’ai le droit de l’interroger.

— Vous savez qu’il détient des informations sur les mouvements d’André Custine.

— Je ne m’intéresse qu’à l’affaire de Montrouge. Custine n’est pas mon affaire, comme vous me l’avez amplement fait comprendre.

Belliard aboya un ordre à son homme de main et lança à Maillol, d’un ton tout aussi hargneux :

— Nous poursuivrons cette conversation à la PJ, où vous pourrez vous expliquer sur les raisons pour lesquelles vous avez tenté de faire capoter une enquête de la brigade criminelle. Entre-temps, trouvons un endroit discret où nous pourrons nous occuper de ces deux-là…

C’est alors qu’Auger s’arracha à la poigne du policier qui la maintenait et fila dans l’essaim grouillant de voyageurs qui se pressaient encore sur le quai. Floyd la perdit de vue juste avant que les portes du métro ne se referment avec un sifflement. Belliard tira son arme, brandit sa carte tricolore et fonça vers le train en hurlant aux gens de s’écarter. Il atteignit la voiture juste à temps pour donner des coups sur la vitre avec son arme, mais la rame repartait déjà. Elle prit de la vitesse, et la dernière voiture disparut bientôt dans le tunnel.

Belliard lui tourna le dos.

— Faites fermer toutes les stations de la ligne ! Elle ne sortira pas du métro !

— Je m’en occupe, dit son collègue.

Il s’approcha rapidement d’un employé du métro à l’air ahuri.

— Vous ne savez même pas qui c’est, protesta Floyd.

— Elle donnait l’impression de ne pas avoir envie de nous parler, répondit Belliard. C’est une raison suffisante de la soupçonner.

— Et moi ?

— Que diriez-vous d’une accusation d’entrave à la justice ?

Maillol se pencha vers lui et lui dit, d’un ton pressant :

— Floyd, vous ne pouvez pas gagner ce coup-là. Ils vont retrouver l’Américaine, et ils retrouveront Custine. N’aggravez pas votre cas, vous n’avez vraiment pas besoin de ça.

Floyd regarda l’autre policier en civil, qui discutait toujours avec l’employé du métro. C’était maintenant ou jamais.

Il se retourna, fit trois pas en arrière tout en sortant son arme, qu’il pointa sur Belliard. Il vit Maillol secouer la tête d’un air catastrophé. La scène commençait à intriguer les quelques voyageurs présents, qui s’empressèrent de faire le vide autour des trois hommes.

— Reculez ! dit Floyd. Reculez et laissez-moi partir.

— Vous n’irez nulle part, dit Belliard. D’ici quelques minutes, mes hommes couvriront absolument toutes les issues du réseau métropolitain.

— Je vous souhaite bien du plaisir pour me rattraper !

— Lâchez votre arme, fit Maillol d’un ton implorant. N’aggravez pas votre cas.

— Je vous ai dit de reculer. Ça vaut pour vous aussi, inspecteur.

Floyd visa la voûte de la station et tira un coup de semonce.

— Je n’hésiterai pas à m’en servir, alors ne m’y obligez pas.

— Vous êtes un homme mort, dit Belliard.

Mais il battit en retraite, les mains levées.

— Alors, on se reverra au cimetière, répondit Floyd.

Il descendit rapidement au niveau des rails et se glissa dans l’obscurité du tunnel. Derrière lui, sur le quai, il entendit des voix excitées, des cris. Quelqu’un soufflait furieusement dans un sifflet. Des hommes déboulèrent sur le quai, certains en uniforme. L’un d’eux se mit à genoux, braqua une torche dans la gueule du tunnel et promena le faisceau lumineux dans les ténèbres. Floyd se colla contre la paroi de brique, hors de portée du rayon. En face de lui un train arriva, son souffle le plaquant encore davantage à la paroi tandis qu’il décélérait pour s’arrêter le long du quai opposé.

Un instant plus tard, les lumières du train s’éteignirent graduellement.

Ils avaient coupé le courant alimentant les rails et les rames.

Floyd se mit à courir dans l’obscurité qui s’épaississait rapidement, faisant craquer les éclats de pierre sous ses pieds. Il se guidait de la main gauche en suivant la paroi, la main droite tendue devant lui. À chaque pas, il devait lutter contre l’impression terrifiante qu’il était sur le point de basculer au bord d’un précipice. Quelque part, vers l’avant, il y eut des coups de feu. Derrière lui, des silhouettes mouvantes obstruaient déjà les lumières de la station. Des pinceaux lumineux striaient l’obscurité, la tranchant comme des rayons de DCA.

Il entendit Maillol hurler :

— Floyd ! Rendez-vous pendant qu’il est temps !

Floyd s’enfonça plus profondément dans le tunnel. Il n’osait hurler le nom d’Auger, Belliard croyant toujours qu’elle avait fui en montant dans la rame.

Il entendit tirer un coup de feu, aussitôt suivi d’un cri inhumain. Le tout provenait des profondeurs du tunnel.

Il ne put résister plus longtemps :

— Auger !

C’était peut-être son imagination, mais il crut entendre quelqu’un crier son nom en retour. La main droite crispée sur son automatique, il s’obligea à marcher dans la direction du son, luttant contre tous les muscles de son corps qui réclamaient de retourner vers la lumière, vers la sécurité de la garde à vue. Peut-être qu’ils ne lui feraient pas de mal, surtout s’il jetait le pistolet. Dans son état, avec sa tête bandée, il se pourrait même qu’ils le traitent avec gentillesse et compréhension. Il avait eu un moment de confusion, et voilà tout. Un coup sur la tête, un moment de désorientation : ils comprendraient, ils seraient pleins de compassion. Qui ne le serait, d’ailleurs ? Maintenant qu’il retrouvait sa faculté de raisonnement, il voyait bien qu’il n’avait rien à faire dans ce tunnel, et il ne lui restait plus qu’une chose à faire : se répandre en excuses. C’étaient des hommes raisonnables, ils comprendraient son point de vue, ils…

— Floyd ? souffla une voix. Floyd, c’est vous ?

Sa voix paraissait pitoyablement faible. Il était difficile de deviner à quelle distance elle se trouvait, surtout avec tout ce vacarme, derrière lui.

— Auger ?

— Ils sont là, Floyd. Dans le tunnel.

Il savait qu’elle ne faisait pas allusion à la police. Il pressa le pas, sa main heurta une masse molle. Malgré lui, il étouffa un hoquet de surprise. Il tendit la main à nouveau, explora la forme. Un bras, un cou et enfin un visage.

— Je suis fatiguée, dit-elle en s’appuyant sur lui. Je crois que je n’y arriverai pas toute seule…

— J’ai entendu tirer des coups de feu.

Elle toussa.

— Ils étaient plusieurs. J’en ai touché au moins un. Vous n’auriez pas dû me suivre. Je ne voulais pas que vous descendiez ici.

— Je n’ai jamais aimé les adieux.

— Essayez de retrouver ma torche, par terre. Je l’ai lâchée quand ils m’ont attaquée. Elle ne doit pas être loin.

Floyd farfouilla dans le noir, chercha à tâtons dans le ballast, entre les rails, en priant pour que l’électricité n’y revienne pas subitement. Ses doigts se refermèrent sur le corps cannelé de la torche. Il trouva l’interrupteur. La lumière tremblota, puis se ralluma.

Il l’éteignit.

— Ça va, je l’ai. Et maintenant ?

— Aidez-moi à me relever. Ce n’est pas loin.

Floyd entendit des gens derrière eux, à guère plus de cinquante mètres. Ils prenaient leur temps, parlaient à voix basse, prudente, comme s’ils pensaient qu’un danger les attendait, en embuscade.

— À quelle distance, au juste ? demanda Floyd.

— Quelques dizaines de mètres. Il y a une porte en bois, dans le mur. Vous allez la sentir. Aidez-moi à franchir cette porte, refermez-la derrière moi et fichez le camp d’ici. Après ça, tout ira bien pour moi.

Il l’aida à avancer le long du mur. Les voix et les torches, derrière eux, se rapprochaient avec un empressement renouvelé. Les yeux de Floyd commençaient à s’adapter à l’obscurité, et il distinguait des formes vagues qui flottaient dans le noir. Il se risqua à rallumer brièvement la torche en dissimulant le faisceau à leurs poursuivants avec son propre corps. Le rayon vacilla et s’éteignit.

— Là, dit Auger. Un trou dans le mur. Vous voyez la porte ?

— Oui, fit Floyd.

— Ouvrez-la. Il faut forcer. Et faites-moi passer à travers. Ensuite, sauvez votre peau.

Floyd prit la torche entre ses dents, cala Auger contre le mur, appuya son épaule contre le vieux panneau de bois et poussa de toutes ses forces. Il céda. Floyd aida Auger à entrer dans la galerie, au-delà, en espérant qu’elle savait ce qu’elle faisait et le croyant presque. Puis quelque chose l’arracha à la paroi du tunnel et l’envoya valdinguer. Il sentit sa colonne vertébrale heurter les rails et laissa échapper la torche, qui s’écrasa sur de l’acier, dans un bruit de verre brisé.

Il avait aussi lâché son automatique.

Il s’obligea à respirer. Le courant n’était apparemment pas revenu dans les rails. Il écarta les bras, les remua, essaya de se relever. À peine visible dans l’obscurité, un enfant se dressa alors au-dessus de lui. Floyd y voyait juste assez pour distinguer son sourire de goule, ses joues creuses et les creux morts de ses orbites. À cet instant, la lumière d’une des torches du groupe qui s’était lancé à la poursuite de l’Américain tomba sur l’enfant, le figeant comme une statue. Il regarda les hommes bien en face, siffla comme un serpent, et un objet brilla dans sa main droite.

Le bras de l’enfant bougea. Il pointa le canon de sa petite arme dans l’axe du tunnel, vers le groupe, et fit feu.

Floyd entendit l’un des hommes pousser un hurlement de douleur, puis un tir de riposte crépita au-dessus de sa tête. Aucune des balles n’atteignit l’enfant, qui tira à nouveau, en rafale cette fois, arrosant le tunnel devant lui. Il y eut des cris, de souffrance ou de terreur. Des torches tombèrent à terre et s’éteignirent. Le silence se fit, comme d’un commun accord.

Avec un gémissement, Floyd roula sur lui-même, ses doigts effleurèrent la poignée de son automatique, s’efforcèrent désespérément de se refermer dessus, y parvinrent. Il assura sa prise sur son arme, la leva. L’enfant baissa les yeux, et l’espace d’un instant son expression satisfaite se mua en stupéfaction.

Floyd appuya sur la détente. Le pistolet cliqueta. Vide.

Le sourire de l’enfant revint. Il abaissa le canon de son arme vers Floyd, ses doigts pareils à des anguilles pâles enroulés autour de la crosse.

Un coup de feu retentit.

L’enfant grogna, lâcha son arme. D’autres balles le touchèrent, le faisant gigoter comme un pantin au bout de son fil. Auger continua à tirer, appuyant sur la détente jusqu’à ce que le pistolet se taise, son canon chauffé au rouge brillant dans les ténèbres. Les restes de l’enfant, lambeaux de vêtements et chairs déchiquetées, retombèrent sur le sol du tunnel, où ils se fondirent en une masse indifférenciée, comme des pièces de viande abandonnées sur un étal de boucher.

Floyd se redressa tant bien que mal et suivit Auger dans l’ouverture du mur.

— Floyd, vous ne pouvez pas aller plus loin…

— Si j’y retourne, ils vont me tirer comme un lapin, sans me laisser la moindre chance de m’expliquer !

Elle poussa un grognement de frustration.

— Alors, fermez la porte avant qu’ils n’entrent ici !

Il fit ce qu’elle lui disait.

— Vous pensez qu’ils nous ont vus entrer ?

— Je ne sais pas, répondit-elle faiblement, entre deux souffles rauques, entrecoupés. Mais ils vont nous chercher. Ils vont passer chaque centimètre du tunnel au peigne fin. Ils finiront bien par trouver cette porte.

— Dans ce cas, j’espère que vous avez un autre moyen de sortir d’ici.

— On peut dire ça comme ça.

Ils étaient dans un boyau beaucoup plus étroit, sans rails sur le sol. Aucun train n’aurait pu y entrer. Il était si bas que Floyd avait du mal à se tenir debout, et il avait beau faire le dos rond, sa tête raclait le plafond. Auger l’entraîna, s’arrêtant de temps à autre pour reprendre son souffle.

— On a eu de la chance, dit-elle. Apparemment, les bébés de guerre n’y voient plus très bien dans le noir. Ils vieillissent, et leur vision doit se détériorer…

— Quel âge ont-ils ?

— Il y a au moins vingt-trois ans qu’ils sont là. Peut-être plus. Et ils sont chaque jour un peu plus décrépits.

— Quelque chose me dit que vous êtes prête à parler, maintenant.

— Dans un instant, Floyd, vous allez avoir toutes les réponses que vous souhaiterez n’avoir jamais eues.

La pluie du siècle
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